A l’occasion de la diffusion de « De Gaulle, le commencement » sur france.tv, Julien Pamart, chef opérateur et Grégoire Ausina, étalonneur, partagent leur retour d’expérience sur ce projet.
Produite par Dana Hastier pour l’unité documentaire de France 2 et réalisée par Frédéric Brunnquell, cette série en deux épisodes de 52’’ est classée dans le genre des fictions documentaires, un terme qui englobe une grande hétérogénéité de films.
Pour rendre compte de ce qu’est « De Gaulle, le commencement », je préfère dire que c’est un biopic de la jeunesse de Charles de Gaulle. Le film retrace le parcours et le quotidien du jeune militaire au cœur de la première guerre mondiale. Blessé en 1914 sur le front belge, puis porté disparu en 1916 à Verdun, il vit trente-deux mois de captivité douloureuse et tente à plusieurs reprises de s’échapper des forteresses allemandes.
Les images d’archives intégrées dans la narration permettent tout au long du récit de resituer les étapes connues de la Grande Guerre. Cette époque constitue le contexte dans lequel se déroule le film, mais l’enjeu est avant tout de révéler la personnalité et les états d’âme du jeune officier De Gaulle. S’ils se sont largement appuyés sur des documents historiques pour écrire ce scénario qui relate les épisodes vécus par De Gaulle durant cette période, les auteurs – Frédéric Brunnquell et Emmanuel Salinger – y ont insufflé une dimension épique qui a influencé ma manière d’appréhender le film.
Les défis du film historique
Dès nos premières discussions préparatoires, Frédéric m’a fait part de son intention d’être toujours au plus proche de son personnage, jusque dans sa tête parfois. Il ne s’agissait pas de filmer la première guerre mondiale mais bien de dresser le portrait d’un jeune homme de l’époque, fasciné par la guerre. Ce parti pris narratif a conditionné l’écriture du film du découpage des séquences aux chorégraphies mises en œuvre entre la caméra et notre De Gaulle, incarné par un acteur d’une grande générosité, Eliott Margueron.
C’est également au cours de ces discussions avec le réalisateur que j’ai compris que le défi allait être de taille car les références qu’il invoquait étaient des classiques du cinéma et que les budgets alloués par l’unité documentaire de France 2 ne sont pas comparables à ceux de l’unité fiction…nous tournions pourtant une fiction, un film en costumes d’époque, avec des scènes de guerre dans des décors parfois compliqués!
Il fallait trouver des solutions pour que l’image du film soit en accord avec les attentes du réalisateur et répondent aux contraintes de production.

Charles de Gaulle en 1915 (Eliott Margueron)
Une mise en scène centrée sur les personnages
La préparation est une étape que j’aime particulièrement car elle permet d’appréhender un peu plus chaque jour le film que le réalisateur a en tête et de réfléchir à des solutions pratiques pour concrétiser ses idées.
C’est en observant Frédéric lors des toutes premières sessions de repérages que j’ai compris qu’il portait une attention particulière à chaque détail, à chaque accessoire pour chercher à retranscrire la réalité de la période de la première guerre mondiale. Il ne voulait pas être écrasé par l’aspect décoratif parfois associé aux films d’époque et voulait que son film soit “vrai”. Je lui ai proposé de composer les cadres comme s’il s’agissait d’un film contemporain en cadrant les visages sans hésiter à couper les couvre-chefs ou les uniformes…cette écriture me paraissait juste pour éviter l’impression de reconstitution et être au plus près de nos personnages.
J’ai décidé de tourner en Alexa Mini couplée à une série Primo. J’aime la douceur de l’image créée par le rendu des objectifs Panavision associé à la texture du capteur de l’Alexa. Je trouve que les images ainsi obtenues ont une cinégénie immédiate qui correspondait aux références de Frédéric.
L’Alexa Mini, par sa robustesse et son ergonomie, me semblait le meilleur outil pour travailler rapidement et dans des décors souvent exigus (les tranchées, un cachot). Et, du fait de sa relative ancienneté, son prix de location était adapté au budget du film.
Une attention apportée aux moindres détails
Nous avons tourné exclusivement en décors naturels dont la cheffe décoratrice Audrey Hernu a su tirer le meilleur. Elle a répondu à toutes nos demandes…mêmes les plus incongrues comme cet arbre calciné que j’imaginais surplombant notre De Gaulle pendant un discours à ses troupes ou la coloration de la terre des tranchées que je voulais différente pour les séquences couvrant la bataille de la Marne et celles sensées se dérouler à Verdun pourtant tournées au même endroit.

L’ arbre calciné surplombant le capitaine De Gaulle lorsqu’il s’adresse à ses troupes (Eliott Margueron)
Cette attention portée à chaque détail était partagée par le reste de l’équipe artistique : pour les costumes, l’œil d’expert de Louis Descols a permis aux comédiens d’épouser leurs uniformes comme une seconde peau. Les équipes Maquillage et Coiffure conduites par Sylvie Ferry et Melyssa Jacob n’ont pas hésité à “patiner” nos acteurs avec des pigments de terre choisis ensemble pour un rendu le plus réaliste possible et qui soit en harmonie avec la palette de couleurs du film.
Une organisation au cordeau pour tenir le plan de travail
C’est lors des repérages techniques que nous avons trouvé la méthodologie de tournage qui nous permettrait de tenir les délais d’un plan de travail serré (20 jours pour 90 minutes de film à tourner à une seule caméra, les archives représentant une petite quinzaine de minutes réparties sur les deux épisodes) : le découpage serait pensé en fonction des possibilités d’éclairer le décor par des entrées de jour naturelles, certaines scènes reposeraient sur des plans séquences, d’autres seraient réécrites par Frédéric en tenant compte des décors pour profiter de mouvements de caméra rendus possibles par la géographie des lieux (la distribution des pièces dans l’appartement familial, les tranchées parfois trop étroites pour laisser passer une caméra).
Avec Franklin Ohanessian, le premier assistant réalisateur, nous avons réfléchi à une organisation du tournage permettant de prélighter la veille les décors du lendemain de façon à être les plus rapides possibles au tournage. Cela a été possible car nous sommes restés plusieurs jours sur la plupart de nos décors qui ont été groupés sur trois gros blocs : une maison (dans laquelle nous avons filmé l’appartement familial mais aussi les bureaux des officiers), les tranchées et le fort qui servit de prison à De Gaulle. L’équipe electro-machino, bien que réduite au vu de la nature du projet (1+1 à l’électricité, 1+1 à la machinerie et un stagiaire qui n’a pas ménagé ses forces) a dû s’organiser. Pendant qu’une partie d’entre eux assurait le tournage d’un plan, l’autre préparait les décors à venir. Il fallait également anticiper la répartition du matériel entre le plateau et le prelight, nos listes ayant été pensées en accord avec le budget du film. Ces questions se posaient aussi bien à propos des sources à employer pour éclairer que pour la manière dont nous ferions nos mouvements de caméra, le film comportant beaucoup de travellings. Nous n’avions pourtant pas loué de Dolly et mon chef machiniste, Vincent Trividic a su jongler avec talent avec quelques mètres de rails, un plateau de travelling et un bazooka pneumatique pour rendre possible les mouvements que j’avais proposé à Frédéric. Nous avons aussi utilisé pour un certain nombre de plans une Dana Dolly, qui s’est révélée le bon outil pour filmer les visages de nos acteurs déambulant dans les tranchées.
Poussière, fumée, couleurs : restituer une époque
Pour la lumière, je suis parti sur l’idée de renforcer les directions naturelles en utilisant les entrées de jour des décors. Avec mon chef électricien, Sébastien Plessis, nous avons joué à faire évoluer les ambiances lumineuses d’une scène à l’autre : parfois nous utilisions des éléments de décor (voilages, verres dépoli de certaines fenêtres) pour diffuser la lumière de l’extérieur, la texturer, lui donner une teinte, parfois nous privilégions une lumière plus directe et nous forcions les contrastes en “éclairant en négatif” à l’aide de floppys ou de borniols. Nous avons également utilisé la diffusion naturelle de la fumée pour peaufiner la texture de notre image. L’époque s’y prêtait entre les cigarettes, les poêles à bois, les lampes à pétroles et la poussière des tranchées. Notre accessoiriste de plateau, Louise Huriet a été une alliée importante dans la gestion du contrôle de la fumée. C’est aussi à elle que nous nous adressions pour déplacer les lampes à pétrole de jeu ou les bougies dans les séquences nocturnes. L’utilisation de ces sources chaudes contrastant avec la lumière du jour s’accordait parfaitement au bleu horizon des uniformes pour enrichir la palette de couleurs du film.

Le colonel Boud’hors et le capitaine De Gaulle à l’intérieur d’un casemate (Arnaud Dupont et Eliott MargueronL’autre choix décisif que Frédéric et moi avons pris a été d’impliquer dès le démarrage de la production celui qui allait être bien plus que l’étalonneur du film, Grégoire Ausina. Cela s’est fait naturellement car si Frédéric et moi n’avions jamais travaillé ensemble, nous avions tous les deux confié l’étalonnage de plusieurs films à Grégoire. Il a donc rejoint l’équipe dès la préparation.
Julien Pamart
Le choix du HDE
En tant qu’étalonneur, on n’a pas assez souvent cette possibilité de préparer le tournage. Sur ces films ambitieux, il fallait trouver des solutions pour fabriquer des images de qualité, avec un dispositif rapide. Il n’ y avait pas de place pour la moindre erreur. Je tenais à ce que Julien puisse tourner en ArriRaw pour que nous soyons libres de travailler le look de l’image assez loin. Les séquences de combat, les nuits américaines et les décors d’époque l’imposaient. Cela a été rendu possible par l’utilisation de la compression HDE, afin que Laure Caniaux et Juliette Poirot, les assistantes caméra, puissent gagner un peu de temps lors des back-up. Le recours au HDE, en réduisant le poids des fichiers au tournage d’environ 40% au moment du déchargement, a permis une rotation avec le nombre de cartes dont nous disposions.
Trois LUTS pour trois ambiances
Pour préparer le tournage, j’ai participé aux essais caméra et nous avons simulé les trois univers spécifiques aux deux épisodes. J’ai pu ensuite exporter les trois LUT que Julien a utilisé pendant le tournage:
-une LUT assez naturelle mais qui cassait un peu le côté électrique des couleurs par rapport à du REC 709
– une LUT nuit américaine : les contraintes de production rendant les tournages de nuit ou d’aube impossible, Julien et Frédéric ont décidé d’assumer la convention de la nuit américaine mais en lui apportant un soin particulier.
-une LUT pour les séquences dans les tranchées : recherche d’une forme de sans-blanchiment. Avec du bleu dans les noirs et une désaturation des autres couleurs.
Pour les nuits, comme pour les tranchées, nous avons modifié le gris moyen pour aller dans le bon sens, sans exagérer mais avec une direction utile pour l’exposition. La LUT nuit était un peu plus claire pour pousser Julien à sous-exposer et, à l’inverse, la LUT tranchée plus sombre.
Un workflow de tournage soigneusement pensé
Durant le tournage, je recevais les rush un jour sur deux pour les mettre en sécurité sur LTO, et décompresser le HDE. Ce workflow fonctionne mais il nécessite d’avoir les bonnes licences pour les logiciels de déchargement, donc une préparation accrue chez les loueurs. Le HDE n’est clairement pas souvent utilisé et il faut insister sur ce point. En postprod, il faut aussi des systèmes informatiques capables de traiter en temps réel ce format de fichiers qui demande des ressources énormes. Après décompression, un fichier arx par image est beaucoup plus lourd à traiter qu’un fichier vidéo mxf classique! Pour résumer, le choix du HDE allège un peu le tournage et alourdit d’autant la postprod. C’est plutôt malin mais il faut que tout le monde en ait bien conscience.
Je faisais ensuite la synchro son des plans, j’appliquais les looks et les presets de crop optiques en suivant le rapport de la scripte, Fanny Olivier, et je générais les proxies pour le montage. Je pouvais alors prévenir Laure ou Juliette sur le groupe Whatsapp dédié qu’elles pouvaient formater les cartes de tournage dont le stock était serré. Ce canal de communication était vraiment une bonne idée, beaucoup plus pratique que le téléphone sur un tournage.
Avant de lancer les rendus et de partager les images avec la production, nous avions convenu avec Julien de passer en revue tous les stills que je lui avais partagé juste avant pour discuter de ce qui allait et de ce qui nécessitait éventuellement un ajustement pour la suite du tournage. J’étais l’œil de Julien à Paris et ces quelques minutes en fin de journée me permettaient de décoder un peu mieux le rapport de la scripte, de le féliciter pour les choses qui marchaient bien ou de le mettre en garde sur des plans dangereux. C’était des moments de complicité où mon expérience de chef op me permettait de me mettre dans la peau de Julien pour l’encourager et réfléchir avec lui à sa journée du lendemain. Il s’interrogeait alors sur les possibilités de retouche de tel ou tel plan à venir car il savait que j’assurerai aussi certains effets visuels.
L’étalonnage final : des ajustements pour accompagner la progression de la narration
Le tournage terminé, quelques mois se sont passés avant que le projet ne revienne chez moi pour l’étalonnage final. Avec l’accord de Frédéric, nous avons commencé par une séance d’étalo Julien et moi pour discuter efficacement, dans notre jargon, de la première passe. L’occasion de tester l’intensité des looks dans la progression de la narration. De travailler les nuits américaines qui demandaient pas mal d’attention, de peaufiner nos intentions de départ. Les LUT étaient de bonnes bases, volontairement plus sages que l’étalonnage final mais suffisamment prononcées pour accompagner tout le monde vers nos choix: au tournage, les équipes déco, HMC ont pu travailler précisément, au montage, les visionnages intermédiaires ont été beaucoup plus confortables qu’en rec709.
Pour la deuxième séance, Frédéric nous a rejoint et nous sommes tombés d’accord sur la plupart des scènes. Ces moments de collaborations, bien préparés, étaient pour moi un vrai plaisir. Je suis très souvent confronté à des images qu’il faut sauver. Cette fois, j’avais cette agréable sensation de les améliorer, de leur donner une patte et de contrôler les choses.
Grégoire Ausina
“De Gaulle, le commencement” 2×52 min
Réalisation : Frédéric Brunnquell
Production : Dana Productions pour France 2
Je remercie infiniment l’équipe image de m’avoir accompagné tout au long du projet avec autant de motivation et de professionnalisme :
Première assistante caméra : Laure Caniaux
Deuxième assistante caméra : Juliette Poirot
Assistante vidéo : Marie Mourot
Chef Électricien : Sébastien Plessis
Électricien : Alexandre Hoareau
Chef Machiniste : Vincent Trividic
Machinistes : Ludovic Jacques et Ludwig Mourier
Stagiaire machiniste : Nikolas Rocher
Loueur : Panavision Paris
Caméra : Arri Alexa Mini
Optiques : Primo SL


