Le terme peut être compris de deux manières : comment acquiert-on les savoirs et les savoir-faire, mais aussi comment sont-ils transmis ?
La transmission est fondamentale pour l’Union des Cinéastes Photographes. Pour les fondateurs de l’association, il semblait évident d’accueillir de jeunes professionnels souhaitant se lancer dans la photographie.
L’idée est que les interactions entre les membres favorisent la diffusion de tous les éléments qui caractérisent notre profession : non seulement les connaissances et l’expérience, mais aussi le savoir-faire et le savoir-être.
Étant moi-même cinéaste autodidacte, formé à l’expérience, à la bienveillance, à l’ouverture d’esprit et aux bons conseils de mes pairs, je me demande encore aujourd’hui comment nous en venons à exercer ce métier fascinant, qui doit autant à nos intuitions et à nos expériences personnelles qu’à une somme d’expertise culturelle, technique et artistique. Il se trouve que j’ai commencé à transmettre mon savoir épisodiquement il y a longtemps, mais plus régulièrement ces dernières années, et, enseignant dans une école publique nationale, je me demandais avec un peu de mauvaise humeur si les écoles « d’art » au sens large étaient réellement capables de produire les artistes et les professionnels de demain. Je n’ai évidemment pas la réponse, mais ce questionnement me rappelle ce postulat de Sigmund Freud, qui, dans un texte publié en 1937 (« Analyse avec fin et analyse sans fin »), identifiait trois professions impossibles : gouverner, éduquer, analyser. Auxquelles on pourrait ajouter par extension : instruire, ou former ! Une mission assurément impossible, car nous savons a priori que les résultats de nos efforts s’avéreront en partie insatisfaisants, chaque étudiant ou apprenant ayant ses propres limites, lesquelles peuvent être de toute nature. Lorsque nous transmettons nos connaissances, comment pouvons-nous savoir dans quelle mesure l’ensemble et l’étendue des connaissances que nous présentons seront assimilés ? Comment pouvons-nous garantir aux établissements de formation que leurs programmes, souvent très sélectifs, formeront des cinéastes et des techniciens qui marqueront durablement leur domaine ? Et selon quels critères évaluer cette réussite ?
Là encore, rien n’est certain. En revanche, on peut aussi considérer, et c’est mon cas, que même si, malgré tous mes efforts, toutes les connaissances transmises ne sont pas assimilées, il en restera toujours quelque chose, dont l’apprenant saura finalement ce qui compte le plus pour lui, et surtout, il y aura une rencontre humaine, dont on ne mesure jamais vraiment l’impact, mais qui peut s’avérer décisive. On peut aussi considérer que cette rencontre affecte aussi le formateur : ne devrions-nous pas, au fil des ans, adapter notre enseignement à notre public ? Et n’est-ce pas par la façon dont nos élèves appliquent et enrichissent leurs connaissances que nous obtenons les retours les plus précieux sur notre efficacité en tant qu’enseignant ?
Afin de partager et d’approfondir ces réflexions, j’ai demandé aux membres de l’Union de répondre à un questionnaire, totalement non scientifique, visant à établir un profil de ces opérateurs de caméra en formation. Il s’agit d’un questionnaire à choix multiples.
Profil(s)
Vingt-quatre de nos membres ont répondu (sur une centaine), étant eux-mêmes enseignants ou formateurs. On peut donc considérer qu’un quart des membres du Syndicat ont une expérience d’enseignement. Pour une grande majorité d’entre eux (85 %), la formation occupe entre 10 % et 25 % de leur temps professionnel, et trois membres y consacrent entre 25 % et 50 % de leur activité.
– 3/4 travaillent de manière rémunérée de manière occasionnelle dans diverses structures, 1/4 donne des cours réguliers, la plupart du temps dans un seul organisme.
Les interventions concernent principalement la formation initiale (étudiants) des écoles de cinéma/audiovisuel (à parts quasi égales entre écoles publiques et privées), bien plus que la formation continue (destinée aux salariés).
Les interventions sont beaucoup plus rares dans le monde associatif et à l’université.
Un bon tiers partage également ses connaissances dans un cadre bénévole, via des associations d’éducation à l’image par exemple ou en ligne (blog personnel, comptes de réseaux sociaux, chaîne YouTube, etc.).
– Les formateurs sont généralement embauchés au régime général, presque à égalité avec les embauches sous statut intermittent, plus rarement sur facture.
La plupart (59 %) de nos membres sont formateurs depuis plusieurs années, 36 % depuis 10 à 20 ans, et un seul enseigne depuis plus de 20 ans. La majorité des répondants sont amenés à concevoir des supports de cours.
– Une bonne majorité des personnes interrogées ont enseigné à l’étranger (Suisse, Italie, Chine, Maroc, etc.) et/ou dans une langue étrangère, la grande majorité en anglais (ce qui peut aussi être le cas en France à l’ESRA, à la 3iS ou à la FEMIS), plus rarement dans d’autres langues (en espagnol à l’EICTV à Cuba, par exemple !).
Le questionnaire révèle également qu’il n’est pas rare de rester en contact avec des étudiants ou des stagiaires. Ces contacts se poursuivent avec certains, qui peuvent devenir assistants ou collaborateurs.
On peut imaginer que notre façon de gérer un groupe, d’encadrer des étudiants ou des stagiaires en situation de formation n’est pas si différente de notre façon de fédérer l’équipe image en conditions de tournage.
Comment devient-on formateur ?
Dans notre environnement professionnel, fondé sur la réputation, il n’est pas surprenant de retrouver les habitudes de notre milieu : les recommandations interpersonnelles (le bouche-à-oreille en somme) constituent le moyen le plus classique de devenir formateur, notamment en remplaçant occasionnellement des collègues ou en supervisant des travaux pratiques dans son ancienne école. Les recrutements par candidature spontanée sont plus rares.
Il est à noter qu’il n’existe pas, à proprement parler, de formation spécifique pour devenir formateur. Si des collègues peuvent nous guider dans la conception d’une formation ou nous présenter à un certain type de public, voire à l’institution qui nous emploie, les formateurs se retrouvent souvent seuls face à cet état d’esprit qu’est la pédagogie. À ce sujet, je crois qu’on est enseignant ou on ne l’est pas. Il est essentiel d’avoir le désir de transmettre et, idéalement, d’en tirer une certaine satisfaction personnelle. Il me semble que la meilleure formation en pédagogie reste d’avoir soi-même appris, quelle que soit la méthode d’apprentissage. Nos formateurs, pour la plupart, ont un parcours qui passe (par ordre de fréquence) par le secteur public, l’autoformation, puis l’école privée. Au cours de notre scolarité, nous avons tous rencontré de bons et de mauvais enseignants, quelle que soit la matière enseignée. Nous avons également tous croisé des enseignants ou des formateurs dont l’expertise et l’attitude ont été déterminantes, même si nous ne nous en rendons pas toujours compte immédiatement. 
C’est l’un des plaisirs immédiats de l’enseignement : l’interaction directe avec son public à travers l’objet de transmission, où l’on sent que les concepts sont compris intimement et mis en œuvre immédiatement. C’est évidemment moins le cas pour nos collègues qui partagent leurs connaissances techniques et esthétiques via Internet, où les retours ne sont pas rares mais pas systématiques, et de toute façon différés. Peut-être que le contact avec le goût d’enseigner donne le goût d’apprendre, et pour certains d’entre nous, celui de transmettre à notre tour. Le cadre adéquat se présente alors le moment venu… Gardons à l’esprit que notre métier se déroule essentiellement sur des plateaux et derrière un judas.
Un mot sur l’apprentissage autodidacte, un sujet que je connais bien : être autodidacte peut résulter d’un choix ou d’une situation, notamment si suivre une formation très sélective ou coûteuse n’était pas envisageable, ou même lors d’une reconversion professionnelle. Cela nécessite alors de mobiliser toutes ses ressources et son énergie pour transformer chaque expérience en apprentissage, apprendre et, surtout, évoluer. Notre secteur professionnel regorge de ces individus formés par leur propre détermination et le hasard de belles rencontres.
Formation continue
La majorité des personnes interrogées continuent de se former dans notre secteur professionnel, principalement sur le matériel mais aussi sur les outils de post-production, et dans une moindre mesure sur d’autres métiers de notre secteur : production, montage, scénarisation, etc.
Il est difficile de déterminer si les formateurs reçoivent davantage de formation que leurs homologues non formateurs. Cependant, on peut supposer qu’ils connaissent les programmes de formation professionnelle, car de nombreux établissements de formation initiale où ils exercent développent leur offre pour les professionnels en activité. Au-delà de l’acquisition de nouvelles techniques ou de la familiarisation avec de nouveaux outils, la formation est aussi un moment d’introspection. Parfois, le désir de se former naît d’un éveil personnel ou d’une période de stagnation professionnelle. C’est aussi l’occasion de rencontres professionnelles en dehors du cadre professionnel traditionnel.
Je tiens à rappeler ici que la formation continue est un droit et que chaque salarié peut en bénéficier.
Interactions
Lors des cours, des travaux pratiques et des stages, étudiants et stagiaires apportent leurs expériences, leurs pratiques, leurs sensibilités et leurs envies. Les écouter me semble toujours être un moment précieux, qui permet de mieux connaître des personnalités, qu’elles soient émergentes ou déjà bien établies. Il y a parfois une certaine appréhension, mais aussi de l’enthousiasme, de la liberté et de la fraîcheur dans la manière d’aborder les problématiques techniques et artistiques. Sur ce point, la formation continue a la particularité de pouvoir nous mettre en contact avec des professionnels expérimentés, dont le regard est la plupart du temps déjà aguerri, ce qui ouvre de nouveaux horizons.
Ces rencontres m’ont souvent amené à faire évoluer ma propre approche pédagogique, car je trouve stimulant de chercher à améliorer le format de mes présentations. Mais aussi parce que, d’une certaine manière, les pratiques de production visuelle évoluent, et nos étudiants et stagiaires avec elles.
Autant d’aspects de la pratique pédagogique qui m’ont amené à la réflexion qu’en fin de compte, former c’est se former soi-même.
Ce qu’ont ajouté les répondants du Syndicat : – Se former, c’est structurer sa pensée pour mieux transmettre, et ainsi améliorer sa propre pratique. Un véritable cercle vertueux si l’on est rigoureux. – C’est aussi prendre conscience de ses propres connaissances, et donc mieux se connaître. – C’est d’abord se former à la pédagogie, qui est une compétence très spécifique. Ensuite, c’est fréquemment revenir aux fondamentaux et parfois (re)découvrir des notions plus précises. – Cela oblige à prendre du recul sur ses pratiques, ses automatismes, pour les conceptualiser avant de les transmettre. Le fait de devoir alimenter des flux de contenus m’amène à rester en veille, afin de pouvoir ensuite partager mes expériences de manière plus intense et approfondie. Par exemple, je photographie très souvent des conditions d’éclairage spécifiques, afin de pouvoir en parler plus tard lors de cours d’éclairage. Il en va de même pour les équipements d’éclairage ou de caméra les plus récents, et avec les dernières possibilités d’éclairage 3D en temps réel. – Idéalement (pour les étudiants), il s’agit même de mettre en œuvre nos incertitudes et nos questionnements (cf. Bernard Stiegler). – Se former, c’est apprendre à expliquer simplement ce que l’on pratique parfois intuitivement. – Surtout, cela nous oblige à un travail d’analyse et de réflexion sur nos pratiques et à rester en phase avec les nouvelles façons d’appréhender le monde des générations qui feront le cinéma de demain. – Je forme des personnes qui ne ciblent pas spécifiquement le domaine de l’image, qui ont des niveaux variés et qui, pour la plupart, ne sont pas intéressées par l’école. Cela m’oblige à questionner mes propres connaissances : quelles sont les compétences essentielles sur un tournage ? Comment leur fournir des moyens d’approfondir leurs connaissances sans les intimider ? (Si aucun d’eux ne s’endort pendant que je leur explique la profondeur de champ, je considère que c’est une réussite.) Les défis de la transmission des savoirs et de l’encadrement des tournages exigent une adaptation constante. C’est avant tout une formation axée sur l’aspect humain et relationnel.
Voilà. Notre mission principale est de partager nos connaissances techniques et artistiques, même si de nombreuses ressources sont déjà largement disponibles sur Internet. Cependant, nos interactions directes avec les étudiants et les stagiaires nous permettent d’expérimenter ce qui caractérise notre profession : un savoir-faire et des compétences relationnelles incarnés par une approche personnelle, intuitive, émotionnelle et pragmatique de la visualisation.
Photos prises lors de divers ateliers lumière dispensés à l’ARFIS (Villeurbanne), aujourd’hui ESEC Lyon. Photos © UCO – Pascal Montjovent / Photo de couverture © UCO – Thomas Lallier