Camerimage est un festival vraiment unique et ancré dans le milieu, qui représente quelque chose de plutôt magique. L’un des seuls festivals où les chef·fes opérateur·ices sont à l’honneur. On y parle de technique et d’esthétique, on échange avec des personnes de tous pays, quelle que soit leur carrière; ici tout le monde est mis au même niveau et les discussions sont ultra accessibles.
C’est déjà mon cinquième Camerimage, et je vois l’évolution du festival chaque année.
Première venue en 2021 : post Covid, avec une édition sur place ainsi qu’une édition en ligne à distance, donc festival très calme, familial, c’est la découverte, nous avons les yeux plein d’étoiles. Je me rappelle à quel point nous avions été surpris et émus par le fait que les directeur·ices de la photographie soient applaudis aux génériques (ce qui aujourd’hui nous semble tout à fait normal!).
Deuxième venue, la reprise complètement en présentiel, il y a énormément de monde, le festival est pris d’assaut, l’ambiance est totalement différente.
Troisième venue, nous commençons à bien connaître et à prendre nos marques, à retrouver les mêmes personnes chaque année et à approfondir nos relations avec elles.
Et là. Quatrième venue. 2024 :
Très peu de films photographiés par des femmes ont été sélectionnés, ce qui mène à des propos fortement misogynes du président du festival, Marek Żydowicz, retrait du film “The Substance” de la compétition, annulation de la venue de Steve McQueen, polémique autour de la projection du film qui a coûté la vie d’Halyna Hutchins, boycott, réunions d’associations telles que Women In Cinematography pendant le festival pour dénoncer les propos et événements récents…
Édition étrange, avec un goût amer. Des tables rondes s’organisent, les festivalier·es essayent de changer les choses de l’intérieur, de discuter, de voir comment améliorer la situation, mais une grande déception s’installe, la confiance est trahie.
À côté de ça, un projet est en cours depuis quelques années : le nouveau Centre Européen du Film Camerimage. Sa construction a néanmoins suscité des doutes sur sa capacité à être achevée dans les temps et sans dépasser le budget initial, déjà conséquent, et une partie du projet a donc été suspendue. Marek Żydowicz continue de s’enfoncer dans sa mauvaise gestion de la construction du Centre, des prestataires emmènent l’affaire au tribunal et des financements sont gelés. Le manque de transparence de la part du président du festival et les doubles standards mis en place pour exécuter la construction du bâtiment mettent en péril la réalisation de ce projet. Si le festival ne réagit pas vite, cela pourrait bien en être la fin.

Marek Żydowicz, président du festival Camerimage – Photo : Tytus Żmijewski / PAP
Après cette édition de 2024, je me suis demandé si je retournerai à Camerimage. Nous sommes rapidement passés d’un festival magique où l’esprit familial en est le noyau dur, à un festival rempli de déception et d’amertume. Ce sentiment semblable à celui que l’on a lorsqu’on devient jeune adulte et que la réalité remplace l’utopie de l’adolescence.
Bon, et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Pouvons-nous (devons-nous) boycotter ? Quelle différence cela fera-t-il ?
À titre personnel, je décide d’y retourner cette année une dernière fois pour prendre la température, voir l’évolution et décider de la suite des événements.
Et cette année, coup dur. La plupart des partenaires et sponsors habituels sont absents, le marché est quasiment vide, il y a peu de conférences, peu d’échanges, peu de festivaliers. L’industrie du cinéma va mal et les fabricants peinent à sortir la tête de l’eau. Camerimage n’agit pas pour les aider, dû en partie aux besoins de financement de la construction du Centre Européen du Film Camerimage. Les prix grimpent en flèche, la facture est salée et il n’est plus possible pour la plupart des exposants d’espérer tenir une conférence ou un stand au marché. L’investissement ne vaut pas le coup pour les exposants et les sponsors du festival, qui ont, pour beaucoup, annulé leur venue. Malgré le scandale de l’année 2024, cette année continue donc dans la mauvaise direction et Camerimage en paye le prix fort.
Un petit bout d’espoir réside du côté de « Femmes à la Caméra », qui organise une exposition photo autour de leur podcast “T’as de beaux yeux tu sais!” à propos du regard féminin sur nos métiers, avec le soutien de l’Union des Chef·fes Op. Lors du vernissage, mardi 18 novembre au CSW, nous avons eu la chance de recevoir Nancy Schreiber, ASC, qui a tenu un beau discours à propos de sa carrière où elle a dû se battre pour se faire une place.

Nancy Schreiber, ASC au vernissage de l’expo photo « T’as de beaux yeux tu sais! »
FALC tient bon et c’est plus que jamais le moment de soutenir les femmes à Camerimage. Cette année, seulement 8 films sur les 42 projetés sont mis en images par des directrices de la photo, c’est beaucoup trop peu.
En 2024, Women in Cinematography signalait que des films reconnus mondialement et photographiés par des femmes étaient hors compétition ces dernières années (Mudbound, Power of the Dog…) et que Portrait de la Jeune Fille en Feu était complètement omis du festival. Sur 30 ans de festival, seulement 3.1% des films sélectionnés dans la compétition principale étaient filmés par des femmes.
Cette année, c’est Judith Kaufmann, BVK qui remporte la grenouille d’Or pour Late Shift. C’est seulement la deuxième femme à obtenir cette récompense, qui est la plus prestigieuse du festival. Son discours sur les conditions de sélection de films à Camerimage est d’autant plus pertinent et juste au vu des récents événements.

Judith Kaufmann, BVK
Du côté de l’UCO, nous essayons de combattre le sentiment d’impuissance et de faire ce que l’on peut en soutenant l’exposition de FALC et en nous exprimant sur les problématiques du festival, pour tenter de pousser les festivalier·es à prendre connaissance et à réfléchir à la question, et peut-être changer un peu les choses de l’intérieur. Le boycott est une autre solution, mais avons-nous assez de poids pour que notre boycott ait un quelconque impact ? Comment convaincre d’autres personnes de suivre un boycott ? Si nous arrivons à être suffisamment pour boycotter, cela ne mettrait-il pas la pérennité du festival en danger au lieu d’améliorer les choses ? Je ne dispose pas de réponse à toutes ces questions.
Le festival a perdu de son âme. Si nous voulions uniquement voir des films, nous ne ferions pas le voyage jusqu’en Pologne. En arrivant cette année, je me suis rappelé pourquoi j’y venais tous les ans depuis cinq ans maintenant. Nous y faisons des rencontres exceptionnelles, avec des personnes du monde entier et de tous parcours, que nous n’aurions probablement jamais rencontrées autrement. C’est un environnement qui nous fait grandir et qui élargit notre vision de la profession dans le monde entier. La cinématographie, ce n’est pas uniquement de belles images mais aussi des images qui ont du sens, au service d’histoires au sens large. Nos métiers font partie intégrante d’une industrie fragile et complexe, nous nous devons de rester informé·es sur les sujets impactant notre environnement de travail.
J’espère que cette 33ème édition de Camerimage servira de déclic et que des mesures seront prises pour assurer la pérennité de la venue des exposants, pour nommer plus de films photographiés par des femmes et que la prochaine édition puisse se dérouler sans conflit.
Crédit photo de l’image de couverture : Witek Szydłowski