Skip to main content

Il est 6h, profitons-en pour étalonner !

La nuit fut extrêmement courte. je me suis perdu dans l’étalonnage des photos destinées au journal de bord. Ma colocataire a explosé de rire en me trouvant sur Davinci Resolve à 6 heures du matin, à son retour du club.

10h – Conséquences et Compétition des Écoles de Cinéma

Vous connaissez cette sensation : celle où l’alarme sonne, mais votre corps décide de vous protéger en empêchant votre cerveau de réagir. C’est ce qui s’est passé, jusqu’à ce que mon colocataire me réveille. J’ai décidé à la dernière minute d’assister aux films étudiants du matin plutôt qu’à une autre séance. Problème : je risque un blâme, et j’en ai déjà un…

La sentence de Camerimage est tombée : pas de réservation pour moi le lendemain matin. J’ai immédiatement envoyé un message de réclamation, misant sur le facteur humain (le cinéma, c’est 90% d’humain, 10% de technique) et jouant sur le pathos. Ça a fonctionné !

La sélection de courts-métrages de cette journée, bien que majoritairement composée de projets à gros budgets, m’a laissé une impression mitigée. Malgré une exécution technique très forte et intense, j’ai ressenti un certain manque de sincérité.

Cependant, un film s’est nettement distingué : Skin on Skin, de Simon Schneckenburger (directeur de la photographie : Nico Schrenk qui rentre de Toruń avec le Laszlo Kovacs Award pour son travail).
Ce court-métrage est, à mon sens, l’incarnation d’un parfait équilibre entre audace, singularité et fraîcheur du cinéma d’action.

L’originalité de sa narration est notable : elle met en scène deux amants travaillant dans un abattoir. L’un est agent de sécurité, pouvant ainsi observer l’autre, qui est ouvrier à la chaîne, ses papiers ayant été confisqués.

Ce synopsis pourrait suggérer un simple jeu de domination et de contrôle. Or, le film réussit à créer un contraste saisissant entre la douceur de la relation amoureuse et la brutalité du milieu de travail.

Tourné avec une Arri 416 en 16mm, le film dégage une esthétique « grasse », comme si de la graisse de porc avait maculé la pellicule. La caméra à l’épaule contribue à un découpage très intelligent. Le grain de l’image confère du caractère à la chair, celle qui est autant déchirée par le travail que caressée par l’amour. Le film n’adopte pas un point de vue moralisateur, mais porte un véritable propos politique de fond.

Pour découvrir l’ambiance du film, je vous invite à regarder la bande-son accompagnée des images https://www.youtube.com/watch?v=ZYv7uoGulwQ 

Un autre film, manifestement très coûteux, a retenu mon attention pour son efficacité visuelle, bien qu’il ne fasse qu’illustrer un problème universel : celui de se tromper de multiples fois de sens en insérant une clé USB.
Ce court-métrage est en réalité une publicité déguisée pour Apple : https://www.youtube.com/watch?v=QR0Z5NbH-rM

Réflexion du jour – Soleil rayon de joie

J’aimerais vous parler du soleil qui a frappé Toruń aujourd’hui. Le contraste entre la rareté de la lumière naturelle et l’obscurité imposée des salles de projection m’a en même temps fait ressentir une profonde frustration, mais a aussi fait rayonner mon âme marseillaise et cinéphile.


Pourtant, c’est peut-être aussi dans ce déséquilibre que se forge une sensibilité particulière pour la lumière au cinéma.

Le soleil, surtout quand il se fait désirer, n’est plus un simple phénomène météo, mais un événement à célébrer. Ce laps de 30 minutes de chaleur inattendue devient un cadeau, une pause volée à la grisaille qui a marqué votre semaine. J’ai été pris d’une folie à vouloir prendre des photos de tout, courir vers ce pont métallique : c’est l’instinct vital qui reprend le dessus, une inspiration brute que le cinéma lui-même cherche à capturer. Le cinéma demande de se couper du monde pour mieux le comprendre, mais cette coupure peut peser.

Cette sensation est d’autant plus marquée par mes origines. J’ai grandi à Marseille, où le soleil est une présence quasi quotidienne, un compagnon fidèle. Passer de cette enfance baignée de lumière à Paris — ou à des environnements similaires où le soleil se fait rare, voire n’apparaît jamais quand on l’espère — crée un décalage émotionnel profond.

15h – Sincérité dans le ‘Panorama Étudiant’

L’un des atouts majeurs de ce programme réside dans la présentation des séances et l’animation de débats stimulants par deux chefs opérateurs de renommée internationale, Stephen Highill ASC et Oliver Stapleton BSC.

1er court métrage – Close to September (Dir. Lucía García Romero / DP. Gemma de Miguel Morell) 

L’authenticité du film réside dans la simplicité de son récit. Visuellement, l’image n’est pas recherchée pour être sublime, mais elle parvient naturellement à cadrer les personnages sous de beaux angles. La caméra à l’épaule, relativement douce, confère un caractère organique et une grande proximité avec les protagonistes. Ce côté proche et empathique est ce qui m’a manqué dans les films vus ce matin.

Le scénario est marqué par un va-et-vient constant entre l’amour et la distance. Le propos est fort : se sentir abandonné lorsque l’on vit dans une ville touristique où tous ceux auxquels on s’attache finissent par partir, laissant Alejandra prisonnière de cet espace dont elle ne peut s’échapper.

2e court métrage – Lily Sous la pluie et nos deux loulous de Louis-Lumière 

Le film dégage une grande simplicité, renforcée par les choix de cadrage, qui permettent une respiration et une forte empathie envers l’état dépressif du personnage. Les plans fixes, en particulier, contribuent à représenter cette sensation d’immobilité et de poids émotionnel.

Concernant la production, le processus de l’école, l’ENS Louis-Lumière, a questionné et surpris toute la salle : l’attribution de deux directeurs de la photographie pour un seul film compliquait la communication. De plus, la tâche était d’autant plus complexe que le film était une co-réalisation.

Selon Félix, le plateau de tournage se caractérisait par un silence inhabituel. Lorsque les deux réalisateurs devaient échanger ou prendre une décision commune, ils se retiraient systématiquement dans une pièce séparée afin de garantir la cohérence de leur vision, soulignant une organisation très structurée pour pallier les difficultés de communication inhérentes à une double direction. Ça paraît presque absurde, mais on y est habitué.

J’aborde ce sujet avec un regard extérieur, mais j’en ai moi-même fait l’expérience. Je travaillais avec Jeanne Pignac, une collaboratrice et amie formidable. Bien que nos caractères s’opposent, nous nous complétons sur de nombreux aspects : je suis plus à l’aise avec la sensibilité et la symbolique narrative d’un côté, et elle avec la narration et la technique.

18h – Siesta façon Einstein

J’applique la méthode Einstein du sommeil court. Je peux vous en faire la théorie, car elle m’aide énormément à me recadrer. Dormir 20 minutes est bénéfique pour le corps : cela stimule et réaligne les cellules essentielles au bon fonctionnement de la mémoire et de la réflexion. Dormir avant Lost Highway était une solution potentielle pour enfin saisir le film le plus mystérieux du XXe siècle.

21h – Lost Highway et mon amour pour David

Je suis particulièrement enthousiasmé à l’idée de retrouver Peter Deming pour qu’il nous livre des révélations croustillantes sur David et sur la production du film. Revoir cette route, ses lignes jaunes et entendre la musique monter est un pur bonheur.

Les premières minutes sont littéralement électrisantes. Des frissons gagnent mon corps. Ce film a ouvert une porte à la réflexion et à l’interprétation qui ne se refermera peut-être jamais.

David, avec son penchant pour l’expérimentation, agit en véritable créateur fou plutôt qu’en simple réalisateur. Il injecte sa propre folie créative dans la production. Par exemple, pour un plan qu’il voulait flou, il ne trouvait pas l’effet assez prononcé. Alors que Peter Deming et son assistant cherchaient l’optique idéale, David, impatient, leur a lancé :
« Mais qu’est-ce que vous foutez ? »
Il a carrément retiré l’optique de la monture pour commencer à filmer, l’assistant·e tenant l’objectif à la main.

Au-delà de ces anecdotes, il était émouvant de voir les larmes de Peter Deming. Cela témoigne de la beauté d’une relation où le réalisateur est bien plus qu’un collaborateur, mais un ami que l’on apprend à connaître profondément au fil du temps.

01h – Karaoké international

Super moment à partager avec des chanteurs nés de l’image. Mais ça, je le sais déjà. C’est drôle : quand on observe plus précisément, on remarque que la majorité des chef·fes op’ ont avant tout une sensibilité musicale. On a tous et toutes une part refoulée dans la musique.

En dehors du karaoké, j’ai rencontré des étudiant·e·s d’écoles norvégiennes, allemandes, danoises. C’était amusant de comparer nos approches : la technicité chez les un·e·s, l’artistique chez les autres, ces petites étrangetés propres à chaque formation. Mais la conclusion s’est imposée d’elle-même : c’est justement parce que nos écoles sont si différentes que nous devenons des chef·fes op’ aux sensibilités uniques. Chacun·e porte en soi ce petit insecte intérieur qui s’envole et butine l’âme du ou de la réalisateur·rice, devenant ainsi son double artistique, celui ou celle qui voit à travers son regard.

Eliott Martin