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Dans la rencontre qui a suivi la projection de Hamnet, Łukasz Żal a décrit une démarche qui, sous un vernis de simplicité, révèle une sophistication fondée sur l’écoute. Adapter Maggie O’Farrell et travailler avec Chloé Zhao l’a conduit à chercher non pas une esthétique d’époque, mais une manière de laisser exister les corps, les silences et la fragilité du monde.

Créer un espace où quelque chose peut advenir
Żal raconte que tout commence avec une idée simple, discutée longuement avec Chloé Zhao : préparer un espace pour que les émotions existent réellement, et non les reconstruire artificiellement à coups d’effets.

« Le plus important était de créer une atmosphère où la présence puisse apparaître, où on puisse témoigner de ce qui se passe entre les personnages. Tout devait être simple, honnête, presque ordinaire. »

Cette exigence d’“ordinaire” n’est jamais banale : elle est une condition de vérité, un refus du spectaculaire.

La forêt : immersion, pas documentation
Bien avant les essais caméra, il multiplie les allers-retours entre la Pologne et l’Angleterre. Puis Zhao l’appelle un soir : « Viens demain, on va dans la forêt. »

Ils y passent quatre jours à quelques-uns. Pas de plans. Pas de repères. Juste l’observation.

« Nous voulions sentir ce que c’est d’être dans ce bois. Apprendre le lieu, le laisser nous entrer dans le corps. L’énergie du film est née là, dans quelque chose proche du documentaire. »
Ce temps long transforme l’espace : la forêt n’est plus un décor, mais un partenaire.

Une petite caméra, aucun intermédiaire
Żal réfléchit un moment aux gimbals et aux grues. Cela semble logique pour la forêt. Puis il parle avec Paul Mescal.

« Il fallait lui donner une liberté totale. Dès que quelque chose se met entre le corps de l’opérateur et la caméra, on perd la réaction. Or ici, réagir était essentiel. »

Ils choisissent une Alexa très légère, dépouillée. Les grues disparaissent.
« Une caméra simple, posée directement contre le corps. Rien d’autre. »

Cette modestie technique devient un outil de précision : pouvoir suivre une variation minuscule, un geste imprévu.


Le cadre comme tableau, et le hors-champ comme monde
Quand on l’interroge sur les plans fixes, il répond sans hésiter :

« Je ne bouge la caméra que s’il existe une nécessité intérieure. Le cadre est la chose la plus importante. Une composition forte peut contenir un fragment de réalité, et laisser deviner tout ce qui continue en dehors du cadre. »

Pour lui, ce hors-champ est un espace moral autant que narratif : quelque chose qui respire, un monde qui ne se réduit pas au découpage.

Quatre regards pour une même histoire
La simplicité n’exclut pas la complexité des points de vue. Żal distingue quatre attitudes de caméra :

– des tableaux statiques, solides ;
– une caméra “humaine”, très proche des corps ;
– une caméra dans un coin, « comme un œil de la mort qui observe » ;
– et une caméra « fantôme », en glissement calme.

« Parfois on est au cœur des émotions ; parfois on sort d’un coup et on se regarde comme si on observait nos propres combats dérisoires. »

Ces ruptures rythment le film et permettent de passer de l’intime au mythique.

La nuit, les bougies, et le 1 %
Les scènes nocturnes intriguent beaucoup : leur obscurité est radicale. Żal sourit lorsqu’on évoque leur lisibilité.

« Nous utilisions de vraies bougies. Et seulement un voile de LED, très diffusé. Mon chef électro me demandait d’augmenter un peu. Je refusais. Finalement, j’ai accepté… un pour cent. Pas plus. »

Il assume cette esthétique :
« Je préfère quelque chose de moins joli mais plus vrai qu’une image commerciale, lisse, où les acteurs ont leur lumière spéciale. La vie n’est pas éclairée comme ça. »

Sa manière de filmer la nuit devient une prise de position presque éthique.

La foule du théâtre : se fondre pour exister
Un spectateur évoque la scène finale, dans le théâtre : Agnes et Bartholomew, au centre du cadre mais invisibles dans la masse. Żal confirme :

« Dès le début, nous voulions qu’ils ne se distinguent pas. Agnes entre en se sentant étrangère à la foule, puis elle comprend peu à peu qu’elle en fait partie. Nous vivons tous les mêmes émotions. Nous naissons, nous mourons. Nous partageons quelque chose. »

C’est une scène où la mise en scène refuse le privilège du personnage principal.
La communauté devient l’unité narrative.

Dire “oui” au film dans un avion
Żal raconte la genèse du projet comme une histoire simple. Zhao souhaite le rencontrer. Il s’arrête à Londres avec son fils, le temps d’un dîner. Elle parle du roman. Elle lui dit qu’elle veut tourner le film avec lui.

« De la porte du restaurant à l’aéroport, j’ai acheté le livre sur mon téléphone. Je l’ai lu dans l’avion. C’était un récit sur la vie, la mort, l’humanité. Sur des questions que je me suis posées très tôt : être ou ne pas être. Je savais que je devais le faire. »

On lui demande s’il a demandé pourquoi elle l’avait choisi. Il rit.

« Non. Je ne lui ai jamais posé la question. On s’est rendu compte qu’on est un peu pareils : un peu chaotiques, un peu fous. Et très ensemble dans ce travail. »

Préparer en doutant, créer en luttant
Il décrit ensuite sa méthode : travailler seul, regarder des films, faire des PDF de repérages, accumuler les essais de lumière.

« J’ai toujours une phase où je me dis : je ne sais pas comment tourner ce film. Je me mets en colère contre moi-même. Puis, à force de regarder, de penser, d’essayer, quelque chose apparaît. »

Avec son coloriste, il fabrique une LUT très contrastée, presque agressive. Ils tournent avec. Mais au moment de l’étalonnage final, Zhao dit non.

« Elle a une intuition incroyable. Nous étions allés trop loin. Nous avons lutté un peu, puis nous sommes revenus à quelque chose de plus simple. Elle avait raison. »

Il conclut :

« C’est bien quand quelqu’un vous empêche d’aller trop loin. »