Jour 4 à Camerimage : je continue à explorer le festival avec la même curiosité qu’au premier jour, entre projections, rencontres et réflexions qui nourrissent autant mon regard d’aspirant chef op’ que mon mémoire. Toutes les rencontres que j’ai pu faire m’aident à préciser ce que je cherche vraiment à filmer… et pourquoi.
12h — Films étudiants & Round Table
Aujourd’hui, je me suis replongé dans la section films étudiants, et, comme souvent, je me suis retrouvé face à des propositions aussi brutales et assumées que fragiles.
Malheureusement, le 1er et 4e court, manquent d’une richesse narrative et visuelle que le deuxième et troisième possèdent.
Le deuxième court-métrage Call Samba (Dir. Jana Švadlenková / Dp. Nikolas Sand) de l’Akadémie Michael de Prague, raconte la dérive d’une relation toxique du point de vue de l’oppresseur. Pari risqué, mais réussi. On voit comment la drogue déforme tout : la perception, la morale, la culpabilité. On accuse l’autre, toujours l’autre, tandis que le monde s’effondre autour. L’image suit le même principe : saturée, contrastée, presque suffocante. La lumière vient du haut et écrase les visages, les déchirant davantage.
Il y a là un goût du sale, de l’impureté, quelque chose qui rappelle par moments le travail de Julia Ducournau : des corps mis à mal, des textures assumées, un malaise palpable. Les choix d’optiques créent des bokeh incroyables, presque liquides.
Le troisième film, Sweden (Dir. Nik Asad / Dp. Annemarie Chladek) de la Babelsberg Film School, prend la forme d’une satire sur l’administration allemande : un espace clinique dans lequel, une fois entré, on ne ressort plus. Une imprimante qui n’arrête pas d’imprimer, des fonctionnaires qui fêtent perpétuellement des anniversaires. Un homme se retrouve dans un bureau et est confronté à tout cela.
Le cinéma de Roy Andersson plane au-dessus de chaque plan : compositions figées, symétriques, couleur un peu mate, personnages bloqués dans leur propre absurdité. On ne peut qu’attendre que quelque chose se passe — mais rien ne se dérègle, et c’est précisément ça qui dérange.
Le quatrième était un film d’horreur. Pas évident au début, difficile d’entrer dedans, mais la tension finit par monter. Le problème : elle retombe d’un coup quand on voit le monstre. Question éternelle : comment suggérer au lieu de montrer ? Comment faire exister quelque chose de terrifiant en restant dans l’ombre ? Une fois qu’on l’expose, on donne au public un contour, une limite. Et la peur perd son mystère.
15h — Sur les toits, encore
À la sortie des projections, j’ai discuté avec la réalisatrice et le chef op d’un des courts-métrages. On a parlé des toits — évidemment. Je leur ai demandé comment ces hauteurs avaient influencé leur mise en scène, leur respiration. J’avais cette sensation que les toits, dans leur film, permettaient d’ouvrir l’image, d’aérer les personnages, comme un espace de vérité au-dessus du chaos.
Les toits, c’est cet endroit où tout paraît possible. On échappe à l’architecture, à la circulation, au bruit. Narrativement, ils permettent de suspendre le temps.
Ce que je cherche dans mon mémoire, c’est la manière dont on peut éclairer ces espaces sans les trahir, sans les sur styliser.
Le toit est une zone frontière : ni dedans, ni dehors, ni en haut, ni en bas.
Et forcément, ça me renvoie à mon mémoire : comment filmer les toits, comment les éclairer, comment en faire des espaces narratifs ? Sentir comment le mouvement du corps influence la caméra, comment un regard traverse un vide. Ce qui me donne aussi, de plus en plus envie de tourner mon propre POV sur un toit.
16h — Quoi de mieux pour un POV que de me rendre au Camerimage Market
Direction le Market pour tester le casque Helmet POV. Une expérience étonnante. Le mouvement est doux, presque organique : on sent que ce n’est pas mécanique, que ça vient d’un geste humain, d’un balancement réel. J’adore ce genre d’inventions un peu folles, portées par quelques esprits brillants qui cherchent des alternatives à l’image trop parfaite.
Est-ce que ça sera vraiment utilisé ? Qui sait. C’est tellement spécifique. Mais rien que pour avoir existé, pour avoir fait parler, ça vaut le coup.
J’ai également pu observer ce champ d’optique qui pousse comme des fleurs. L’angle de vue m’a beaucoup fait rire, on dirait de petites centrales nucléaires.
17h — Talent Demo ou comment faire du cinéma performatif
Séance de courts-métrages : talent brut et expérimentation
Cette sélection mettait en lumière de jeunes réalisateur·rice·s cherchant à affirmer leur talent mais je dirais plutôt “prouver” leur talent. C’est-à-dire que dans le Q&A ainsi que dans la forme, on sent qu’il y a un manque d’humilité qui entache la sincérité du propos. Un film tourné au format vertical, ou un autre qui était dénué de récit concret mais qui n’était qu’un prétexte pour montrer du “beau”.
Je ne vais parler que d’un seul film : Breadsong. Un petit bijou bizarre, comme je les aime.
Synopsis rapide :
Dans une famille rurale du XIXᵉ siècle, après avoir mangé du pain, les enfants commencent à chanter comme une radio, et exposent l’emplacement d’un trésor. Plus les parents écoutent, plus le prix à payer grandit. Une fable sur l’avidité, la cécité, et les trésors qu’on ne voit jamais.
Le père nourrit son fils de pain noir pour qu’il chante et révèle la cache du trésor… jusqu’à l’écœurement. C’est cruel, absurde, fascinant.
L’image est splendide : des backlights maîtrisés, un low-key qui renforce la claustrophobie. Les costumes sont magnifiques, et l’étalonnage semble fait pour donner de la vie aux matières. J’adore quand un film ose être étrange sans honte.
Un défaut récurrent des courts-métrages réside dans leur envie constante d’adopter une esthétique standardisée : ce « look pellicule », souvent dans des tons « teal and orange » avec de jolis backlights. En cherchant à se démarquer, ces films finissent par s’inscrire dans une catégorie où l’on semble surtout vouloir prouver une maîtrise technique (« J’ai des Skypanels, des Nanlux, et je sais m’en servir »). Excusez cette critique, mais, à l’exception des documentaires, j’ai rarement l’impression d’être visuellement surpris dans ce festival.
18h30 — Exposition : Femmes à la caméra
Le vernissage était un vrai plaisir : rencontres, échanges, une énergie extrêmement bienveillante. Nancy Schreiber, grande cheffe opératrice américaine, a reçu une belle standing ovation. Accompagnée de son ami Texan (au chapeau relativement cliché), elle a prononcé un discours vibrant, plein d’espoir et de force, en soutien à l’association en pleine croissance et tout à fait géniale : Femmes à la caméra.
Mention spéciale également aux cressins accompagnés d’houmous et d’une IPA. Fait amusant : les chefs ops semblent préférer le vin, tandis que les aspirants optent pour la bière.
La soirée a continué avec un verre et une partie de fléchettes, celle-ci devenant presque compétitive. Deuxième observation amusante : les étudiant·es de la Fémis ne peuvent s’empêcher de jouer pour la gagne! Pour eux·elles, perdre semble entacher leur dignité. (J’en ris parce que je les connais bien, et ce petit groupe de six de la Fémis est d’une gentillesse !)
2 petites réflexions du jour
1. Le bokeh : pourquoi le cherche-t-on autant ?
Le bokeh, ou les flous d’arrière-plan, sont presque devenus un fantasme visuel. On cherche à représenter avec la caméra un effet que l’œil humain ne perçoit pas vraiment — ou pas de la même manière.
Pourquoi ce besoin ?
Peut-être parce que le bokeh, en simplifiant le monde, le rend plus doux. Il isole. Il met à distance ce qui nous dépasse. C’est une manière de dire : je veux voir quelque chose précisément, et laisser le reste se dissoudre.
Pour l’anecdote, pour la review d’hier, j’ai tenté de proposer mes photos avec effet bokeh comme image de couverture, mais elles ont été jugées trop abstraites. Il semble donc que l’effet bokeh soit apprécié en arrière-plan, moins au premier plan.
2. C-Stand ambulant
Depuis deux jours, quelque chose d’étrange me taraude : des gens se promènent avec des C-stands. J’en ai croisé pas moins de trois ! Je n’ai pas osé les interrompre. Promis, la prochaine fois, je vous ramène une interview de l’un ou l’une d’entre eux.elles.
Eliott Martin